Jules Verne

Il attendait. Mais Altamont voulait savoir jusqu'au bout.

«Docteur, dit-il, comment calculerez-vous la durée de votre mèche avec une précision telle que l'explosion se fasse au moment opportun?

--C'est bien simple, répondit le docteur, je ne calculerai rien.

--Vous avez donc une mèche de cent pieds de longueur?

--Non.

--Vous ferez donc simplement une traînée de poudre?

--Point! cela pourrait rater.

--Il faudra donc que quelqu'un se dévoue et aille mettre le feu à la mine?

--S'il faut un homme de bonne volonté, dit Johnson avec empressement, je m'offre volontiers.

--Inutile, mon digne ami, répondit le docteur, en tendant la main au vieux maître d'équipage, nos cinq existences sont précieuses, et elles seront épargnées, Dieu merci.

--Alors, fit l'Américain, je renonce à deviner.

--Voyons, répondit le docteur en souriant, si l'on ne se tirait pas d'affaire dans cette circonstance, à quoi servirait d'avoir appris la physique?

--Ah! fit Johnson rayonnant, la physique!

--Oui! n'avons-nous pas ici une pile électrique et des fils d'une longueur suffisante, ceux-là mêmes qui servaient à notre phare?

--Eh bien?

--Eh bien, nous mettrons le feu à la mine quand cela nous plaira, instantanément et sans danger.

--Hurrah! s'écria Johnson.

--Hurrah!» répétèrent ses compagnons, sans se soucier d'être ou non entendus de leurs ennemis.

Aussitôt, les fils électriques furent déroulés dans la galerie depuis la maison jusqu'à la chambre de la mine. Une de leurs extrémités demeura enroulée à la pile, et l'autre plongea au centre du tonnelet, les deux bouts restant placés à une petite distance l'un de l'autre.

A neuf heures du matin, tout fut terminé. Il était temps; les ours se livraient avec furie à leur rage de démolition.

Le docteur jugea le moment arrivé. Johnson fut placé dans le magasin à poudre, et chargé de tirer sur la corde rattachée au poteau. Il prit place à son poste.

«Maintenant, dit le docteur à ses compagnons, préparez vos armes, pour le cas où les assiégeants ne seraient pas tués du premier coup, et rangez-vous auprès de Johnson: aussitôt après l'explosion, faites irruption au-dehors.

--Convenu, répondit l'Américain.

--Et maintenant, nous avons fait tout ce que des hommes peuvent faire! nous nous sommes aidés! que le Ciel nous aide!»

Hatteras, Altamont et Bell se rendirent à la poudrière. Le docteur resta seul près de la pile.

Bientôt, il entendit la voix éloignée de Johnson qui criait:

«Attention!

--Tout va bien», répondit-il.

Johnson tira vigoureusement la corde; elle vint à lui, entraînant le pieu; puis, il se précipita à la meurtrière et regarda.

La surface du talus s'était affaissée. Le corps du renard apparaissait au-dessus des débris de glace. Les ours, surpris d'abord, ne tardèrent pas à se précipiter en groupe serré sur cette proie nouvelle.

«Feu!» cria Johnson.

Le docteur établit aussitôt le courant électrique entre ses fils; une explosion formidable eut lieu; la maison oscilla comme dans un tremblement de terre; les murs se fendirent. Hatteras, Altamont et Bell se précipitèrent hors du magasin à poudre, prêts à faire feu.

Mais leurs armes furent inutiles; quatre ours sur cinq, englobés dans l'explosion, retombèrent ça et là en morceaux, méconnaissables, mutilés, carbonisés, tandis que le dernier, à demi rôti, s'enfuyait à toutes jambes.

«Hurrah! hurrah! hurrah!» s'écrièrent les compagnons de Clawbonny, pendant que celui-ci se précipitait en souriant dans leurs bras.

CHAPITRE XIV

LE PRINTEMPS POLAIRE

Les prisonniers étaient délivrés; leur joie se manifesta par de chaudes démonstrations et de vifs remerciements au docteur. Le vieux Johnson regretta bien un peu les peaux d'ours, brûlées et hors de service; mais ce regret n'influa pas sensiblement sur sa belle humeur.

La journée se passa à restaurer la maison de neige, qui s'était fort ressentie de l'explosion. On la débarrassa des blocs entassés par les animaux, et ses murailles furent rejointoyées. Le travail se fit rapidement, à la voix du maître d'équipage, dont les bonnes chansons faisaient plaisir à entendre.