Jules Verne

A cette époque, la limite de temps, assignée par les hommes spéciaux à l'épuisement des houillères, était fort reculée, et la disette n'était pas à craindre à court délai. Il y avait encore à exploiter largement les gisements carbonifères des deux mondes. Les fabriques, appropriées à tant d'usages divers, les locomotives, les locomobiles, les steamers, les usines à gaz, etc., n'étaient pas près de manquer du combustible minéral. Seulement, la consommation s'était tellement accrue pendant ces dernières années, que certaines couches avaient été épuisées jusque dans leurs plus maigres filons. Abandonnées maintenant, ces mines trouaient et sillonnaient inutilement le sol de leurs puits délaissés et de leurs galeries désertes.

Tel était, précisément, le cas des houillères d'Aberfoyle.

Dix ans auparavant, la dernière benne avait enlevé la dernière tonne de houille de ce gisement. Le matériel du « fond [1*] », machines destinées à la traction mécanique sur les rails des galeries, berlines formant les trains subterranés, tramways souterrains, cages desservant les puits d'extraction, tuyaux dont l'air comprimé actionnait des perforatrices, -- en un mot, tout ce qui constituait l'outillage d'exploitation avait été retiré des profondeurs des fosses et abandonné à la surface du sol. La houillère, épuisée, était comme le cadavre d'un mastodonte de grandeur fantastique, auquel on a enlevé les divers organes de la vie et laissé seulement l'ossature.

De ce matériel, il n'était resté que de longues échelles de bois, desservant les profondeurs de la houillère par le puits Yarow le seul qui donnât maintenant accès aux galeries inférieures de la fosse Dochart, depuis la cessation des travaux.

A l'extérieur, les bâtiments, abritant autrefois aux travaux du « jour », indiquaient encore la place où avaient été foncés les puits de ladite fosse, complètement abandonnée, comme l'étaient les autres fosses, dont l'ensemble constituait les houillères d'Aberfoyle.

Ce fut un triste jour, lorsque, pour la dernière fois, les mineurs quittèrent la mine, dans laquelle ils avaient vécu tant d'années.

L'ingénieur James Starr avait réuni ces quelques milliers de travailleurs, qui composaient l'active et courageuse population de la houillère. Piqueurs, rouleurs, conducteurs, remblayeurs, boiseurs, cantonniers, receveurs, basculeurs, forgerons, charpentiers, tous, femmes, enfants, vieillards, ouvriers du fond et du jour, étaient rassemblés dans l'immense cour de la fosse Dochart, autrefois encombrée du trop-plein de la houillère.

Ces braves gens, que les nécessités de l'existence allaient disperser -- eux, qui pendant de longues années, s'étaient succédé de père en fils dans la vieille Aberfoyle --, attendaient, avant de la quitter pour jamais, les derniers adieux de l'ingénieur. La Compagnie leur avait fait distribuer, à titre de gratification, les bénéfices de l'année courante. Peu de chose, en vérité, car le rendement des filons avait dépassé de bien peu les frais d'exploitation; mais cela devait leur permettre d'attendre qu'ils fussent embauchés, soit dans les houillères voisines, soit dans les fermes ou les usines du comté.

James Starr se tenait debout, devant la porte du vaste appentis, sous lequel avaient si longtemps fonctionné les puissantes machines à vapeur du puits d'extraction.

Simon Ford, l'overman de la fosse Dochart, alors âgé de cinquante-cinq ans, et quelques autres conducteurs de travaux l'entouraient.

James Starr se découvrit. Les mineurs, chapeau bas, gardaient un profond silence.

Cette scène d'adieux avait un caractère touchant, qui ne manquait pas de grandeur.

« Mes amis, dit l'ingénieur, le moment de nous séparer est venu. Les houillères d'Aberfoyle, qui, depuis tant d'années, nous réunissaient dans un travail commun, sont maintenant épuisées. Nos recherches n'ont pu amener la découverte d'un nouveau filon, et le dernier morceau de houille vient d'être extrait de la fosse Dochart ! »

Et, à l'appui de sa parole, James Starr montrait aux mineurs un bloc de charbon qui avait été gardé au fond d'une benne.