Jules Verne

Les Voyages Extraordinaires Michel Strogoff 01 Page 01

LES VOYAGES EXTRAORDINAIRES

MICHEL STROGOFF

DE MOSCOU A IRKOUTSK

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

I.--Une fête au Palais-Neuf

II.--Russes et Tartares

III.--Michel Strogoff

IV.--De Moscou à Nijni-Novgorod

V.--Un arrêté en deux articles

VI.--Frère et soeur

VII.--En descendant le Volga

VIII.--En remontant la Kama

IX.--En tarentass nuit et jour

X.--Un orage dans les monts Ourals

XI.--Voyageurs en détresse

XII.--Une provocation

XIII.--Au-dessus de tout, le devoir

XIV.--Mère et fils

XV.--Le marais de Baraba

XVI.--Un dernier effort

XVII.--Versets et chansons

DEUXIÈME PARTIE

I.--Un camp Tartare.

II.--Une attitude d'Alcide Jolivet.

III.--Coup pour coup.

IV.--L'entrée triomphale.

V.--Regarde de tous tes yeux, regarde!

VI.--Un ami de grande route.

VII.--Le passage de l'Yeniseï

VIII.--Un bièvre qui traverse la route.

IX.--Dans la steppe.

X.--Baïkal et Angara.

XI.--Entre deux rives

XII.--Irkoutsk.

XIII.--Un courrier du Czar.

XIV.--La nuit du 5 au 6 Octobre.

XV.--Conclusion.

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE Ier

UNE FÊTE AU PALAIS-NEUF.

«Sire, une nouvelle dépêche.

--D'où vient-elle?

--De Tomsk.

--Le fil est coupé au delà de cette ville?

--Il est coupé depuis hier.

--D'heure en heure, général, fais passer un télégramme à Tomsk, et que l'on me tienne au courant.

--Oui, sire,» répondit le général Kissoff.

Ces paroles étaient échangées à deux heures du matin, au moment où la fête, donnée au Palais-Neuf, était dans toute sa magnificence.

Pendant cette soirée, la musique des régiments de Préobrajensky et de Paulowsky n'avait cessé de jouer ses polkas, ses mazurkas, ses scottischs et ses valses, choisies parmi les meilleures du répertoire. Les couples de danseurs et de danseuses se multipliaient à l'infini à travers les splendides salons de ce palais, élevé a quelques pas de la «vieille maison de pierres», où tant de drames terribles s'étaient accomplis autrefois, et dont les échos se réveillèrent, cette nuit-là, pour répercuter des motifs de quadrilles.

Le grand maréchal de la cour était, d'ailleurs, bien secondé dans ses délicates fonctions. Les grands-ducs et leurs aides de camp, les chambellans de service, les officiers du palais présidaient eux-mêmes à l'organisation des danses. Les grandes-duchesses, couvertes de diamants, les dames d'atour, revêtues de leurs costumes de gala, donnaient vaillamment l'exemple aux femmes des hauts fonctionnaires militaires et civils de l'ancienne «ville aux blanches pierres». Aussi, lorsque le signal de la «polonaise» retentit, quand les invité de tout rang prirent part à cette promenade cadencée, qui, dans les solennités de ce genre, a toute l'importance d'une danse nationale, le mélange des longues robes étagées de dentelles et des uniformes chamarrés de décorations offrit-il un coup d'oeil indescriptible, sous la lumière de cent lustres que décuplait la réverbération des glaces.

Ce fut un éblouissement.

D'ailleurs, le grand salon, le plus beau de tous ceux que possède le Palais-Neuf, faisait à ce cortège de hauts personnages et de femmes splendidement parées un cadre digne de leur magnificence. La riche voûte, avec ses dorures, adoucies déjà sous la patine du temps, était comme étoilée de points lumineux. Les brocarts des rideaux et des portières, accidentés de plis superbes, s'empourpraient de tons chauds, qui se cassaient violemment aux angles de la lourde étoffe.

A travers les vitres des vastes baies arrondies en plein cintre, la lumière dont les salons étaient imprégnés, tamisée par une buée légère, se manifestait au dehors comme un reflet d'incendie et tranchait vivement avec la nuit qui, pendant quelques heures, enveloppait ce palais étincelant. Aussi, ce contraste attirait-il l'attention de ceux des invités que les danses ne réclamaient pas. Lorsqu'ils s'arrêtaient aux embrasures des fenêtres, ils pouvaient apercevoir quelques clochers, confusément estompés dans l'ombre, qui profilaient çà et là leurs énormes silhouettes.